Crise sanitaire et impacts sur des enfants dits différents

Hubert Crépin, membre du conseil de Direction de l’ITEV, directeur du SESSAD et de l’Ecole Privée Spécialisée PARENTS – THESE et Michel Pesce, chef de service et coordinateur des deux dispositifs, observent les effets de la pandémie sur le secteur médicosocial et questionnent de manière plus globale la possibilité de construire « un après soutenable ».

L’épidémie du Coronavirus est devenue rapidement une pandémie à l’échelle mondiale. En dépit du déni de certains dirigeants, les différents pays sont inexorablement amenés à adopter, à brève échéance, des mesures de plus en plus pénalisantes quant à la production, la consommation, et la circulation des biens et des personnes ; la liberté chèrement acquise par les sociétés après les heures sombres des guerres mondiales s’en trouve gravement altérée.

La crise sanitaire mondiale a déchiré la quiétude et les certitudes des vies et a imposé, au-delà des deux confinements violents et privatifs de liberté d’actions, sa loi et ses contraintes.

Cet événement inédit au XXI siècle a généré une rupture, voire une fracture, violente : sociale, professionnelle, économique et in fine sociétale. Il impose une nécessaire démarche réflexive collective mais également individuelle ainsi qu’un bouleversement des paradigmes et notamment celui de ne plus pouvoir croire en nos certitudes, de maitrise permanente de nos environnements, de notre médecine, de notre économie, de nos relations sociales, de notre liberté.

La crise sanitaire de la Covid-19 représente un accélérateur de la prise de conscience des inégalités sociales, certes déjà existantes mais, à présent, elle impose un dépassement de celles-ci par une citoyenneté solidaire et renforcée, une cohésion sociale indispensable.

Cette crise est récente mais des décisions à brève échéance sont à prendre pour gommer autant que faire se peut les inégalités dans l’accès aux droits, aux aides sociales, à l’école inclusive pour tous, au travail, à l’accès au numérique, en résumé à une vie décente.

Certaines de ces difficultés latentes sont d’ores et déjà renforcées par la conjonction de facteurs négatifs nés et majorés du fait de la crise sociétale tant en termes de perte d’emploi, de baisse de revenu, d’approvisionnement alimentaire, d’accès aux soins ou même de gestion de la solitude…

 La question centrale de la protection sociale comme socle de notre cohésion sociale est posée.

Un lourd tribut a été payé et est toujours payé par les personnes en situation de précarité avec un réel risque de basculement dans la pauvreté à défaut de mesures radicales, urgentes et suffisantes. Il ne faut pas non plus oublier celles déjà engagées dans un processus de marginalisation pour lesquelles l’insertion réside dans un espoir illusoire. Et que dire des migrants adultes ou mineurs non accompagnés qui ne font jamais partie des décomptes quels qu’ils soient.

La construction d’un « après soutenable » est donc bien un enjeu essentiel visant à retrouver ou créer de la cohésion sociale après la crise sanitaire qui aura touché la population de manière très inégale ; cette crise va se prolonger par une crise économique et sociale dont l’ampleur se profile déjà et questionne le système démocratique à toute échelle.

Que faire pour un « après soutenable » ?

Pour le secteur médicosocial, la Crise sanitaire a généré deux confinements qui ont impacté les familles, les enfants porteurs de troubles du spectre autistique mais également tous les acteurs des prises en charge.

La question centrale de la protection sociale des plus précaires mais aussi l’accompagnement des enfants porteurs de handicaps est posée. Elle doit être questionnée compte tenu de la prolongation incertaine de la crise sanitaire et de la rupture des représentations du travail médicosocial et de ses modalités habituelles. Le premier confinement a « enfermé » les enfants aux domiciles, les privant de fait de leurs rituels si fondamentaux pour eux dont l’existence est et doit être pensée, organisée et déclinée de façon permanente et anticipatrice et ce pour éviter l’émergence de troubles difficilement gérables pour eux.

Un monde de constance et de rituels s’est effondré brutalement sans autres alternatives qu’une nécessaire disponibilité de familles elles-mêmes confrontées à cette crise professionnelle, sanitaire et sociétale inédite. L’école, les temps périscolaires, le suivi bienveillant de leurs encadrants habituels tels que les auxiliaires de vie sociale (AVS), les enseignantes, les éducateurs, les professionnels du paramédical se sont résumés à des contacts numériques sporadiques quand ceux-ci étaient possibles.

Par ailleurs pour les enfants atteints d’hyperactivité, le confinement a généré parfois de fortes tensions au sein des sphères familiales où parents, fratries et enfants ont dû improviser des espaces, des temps privés et des stratégies adaptatives.

Bien plus encore, des phénomènes d’enfermements sont apparus renforçant le trouble autistique, annihilant les acquis durement obtenus d’ouverture vers l’autre, vers le monde. Cette situation bouleverse à nouveau les pratiques et les fonctions d’accompagnant, conférant aux acteurs de proximité la nécessité de s’inscrire dans une démarche de soins pour éviter une forme d’addiction à l’enfermement.

Les relations avec les familles

Les familles ont pu bénéficier de liens réguliers en visioconférence avec les professionnels (temps de répits et temps de scolarisation). Cependant elles ont dû imaginer, improviser et organiser les temps familiaux, les temps professionnels et les temps spécialisés pour leurs enfants handicapés autour d’échanges numériques. La fracture numérique a pu se ressentir pour certaines familles.

La connaissance et la maitrise des enjeux communicationnels nouveaux et du recours au tout numérique ont nécessité pour tous, familles, enfants et professionnels, des apprentissages sur le terrain, du temps dédié, des oublis, des non-dits.

Certains parents, en télétravail forcé au sein d’un foyer en activité, ont été dépassées par la double exigence : de prolonger au domicile leurs activités professionnelles et d’assurer les charges quotidiennes amplifiées par la présence permanente des membres du foyer. Des situations de vie pour lesquelles se surajoutent les particularités et comportements à problèmes des enfants porteurs d’autisme déjà évoqués.

Les relations avec les enfants

A priori, le travail à distance avec les enfants porteurs d’autisme ne correspond pas à leurs besoins et à leurs modes de représentations ; ne rencontrer, ne voir son éducateur référent qu’à travers un écran transforme profondément la nature de cette relation et peut être interprétée par les enfants comme soit un jeu, soit un manque d’intérêt des professionnels, la question reste sans réponse franche.

La brutalité du confinement n’a pas permis d’anticiper auprès des enfants cette fracture. Certains enfants ont pu s’adapter sans toutefois que l’on puisse mesurer la qualité et l’impact de ces adaptations éphémères. D’autres se sont vu, au travers des écrans, proposé des actions désincarnées et virtuelles n’ayant que peu de sens. Ils se sont alors éloignés et ont abandonné les propositions. Heureusement que le confinement dur n’a duré que quelques semaines.

Le travail à distance

Le travail en période de confinement a été un vecteur de coordination Nous avons pu ainsi vérifier l’intensité des relations interprofessionnelles et conclure que la coordination a été un vecteur de progrès durant cette période. Ce télétravail obligé a été mené quotidiennement sous l’impulsion de l’équipe de direction y compris avec les intervenants paramédicaux vacataires. Les professionnels ont subi moins de charge, ils ont eu plus de temps pour élaborer le travail avec les enfants, ils ont interrogé leurs pratiques antérieures à cause ou grâce au confinement. Ils ont fait preuve d’inventivité, d’innovation et de créativité. La direction a tenu à produire hebdomadairement une Newsletter à destination des professionnels, newsletter dont le rôle informatif a permis également de ‘réincarner’ les nécessaires temps de coordination transdisciplinaires.

Le confinement a cependant créé une culpabilité quant à ce qui fut vécu par certains comme un travail dégradé imposé. Les salariés relatent un sentiment de ne pas en faire assez, ne pas être au rendez-vous des objectifs poursuivis, d’être pris par un quotidien familial où se mêle les impératifs professionnels, repoussant les amplitudes de travail à des horaires indus. Ils se sont impliqués sans compter soir, weekend, vacances scolaires et jours fériés. Cette situation de « travail forcé » n’est pas sans laisser de trace et la période de congé estivale n’a pas suffi à rétablir l’estime d’un travail bien accompli. Subsiste à ce jour une sorte de cicatrice rappelant à chacun ce vécu douloureux à la moindre évocation de confinement se renouvelant.  

Pour conclure bien temporairement

La crise sanitaire de la Covid-19 a bousculé :

  • Les représentations du travail, celui des familles et des professionnels
  • La réalité quotidienne du travail médicosocial
  • Les organisations de celui-ci sans aucune réflexion collective et de façon unilatérale
  • La vie des familles touchées par le handicap de leur enfant et habituées, pour celles bénéficiaires de notre école spécialisée et du SESSAD, à un accompagnement au fil de l’eau
  • Le comportement des enfants inscrits dans des rituels sécurisants et normatifs
  • L’économie du secteur des ESMS, voire son avenir
  • La peur de contamination de notre santé par l’Autre
  • La certitude que notre modèle européen de santé est fiable et imperméable aux aléas de la vie
  • Les postures professionnelles et les repères établis pour un accompagnement de qualité
  • Les fonctions au point de fragiliser l’employabilité et voir une désaffection des métiers eux-mêmes

Il convient de réinterroger nos certitudes, d’imaginer un monde et un modèle différent, plus solidaire et plus soucieux des plus fragiles et en capacité de résilience face à des événements aussi violents qu’imprévisibles. Le secteur médicosocial, quant à lui, doit réinterroger ce pour quoi et ceux pour qui il existe et faire preuve d’innovations de toutes natures tout en préservant les valeurs qui en sont le fondement.